TAIZÉ

La rencontre

 
La rencontre de Cochabamba, Bolivie, a eu lieu du 10 au 14 octobre ; elle a rassemblé 7 000 jeunes. Parmi les inscrits, outre des jeunes de la quasi-totalité du continent sud-américain, on a noté une forte participation des jeunes de la campagne bolivienne.

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Voici ce que l’un des frères avait écrit le 4 octobre

Le climat de veille de rencontre commence à nous faire palpiter. Il y a beaucoup de détails à régler, comme le nombre de bus à commander, car il est impossible de compter sur les transports publics. Ce nombre se monte déjà à 110. Il y a aussi la question de la sécurité autour des halles d’exposition, et celle du nombre de familles qui accueilleront dans chaque paroisse, de telle sorte que nous puissions préparer la répartition des jeunes. Ce thème du logement est délicat. Il faut voir quels groupes peuvent aller loger là où la situation est compliquée, il faut faire attention aux tensions qui se sont produites en février dernier, il y a beaucoup de blessures qui ne sont pas guéries et ce serait imprudent d’envoyer des jeunes de la campagne dans certaines paroisses. Nous veillons à ce qu’il y ait au moins un européen par paroisse et à ce que les latino-américains soient répartis équitablement. Un jeune fait ce travail, mais il doit consulter à chaque instant les volontaires et les frères pour voir si ce qu’il a préparé est réalisable.

Nous passons aujourd’hui une journée un peu violente. Cochabamba est en état de grève générale des transports, pour une durée indéterminée (tout le monde dit que cela ne durera pas plus de 24 heures). Cela signifie un arrêt général des activités, les gens en profitent pour ne pas aller au travail ou bien ils ont peur et ne sortent pas de chez eux… et ils ont raison. Aujourd’hui, dans notre rue, nous avons assisté de notre fenêtre à un affrontement entre la police et un groupe de manifestants. Cela s’est terminé par quelques arrestations et des gaz lacrymogènes qui nous obligèrent à fermer toutes les fenêtres du bâtiment. Finalement la situation s’est calmée vers midi et nous avons pu aller à la cathédrale pour notre prière quotidienne. C’est incroyable que quelques heures plus tard on ne voie plus rien, mais on ne peut jamais savoir jusqu’où l’escalade de la violence peut aller.

Mardi 9 octobre

Hier et aujourd’hui, nous avons eu des journées surchargées : il y a tant de choses à penser ! Nous devons transporter notre lieu de travail à la halle d’exposition. Déjà sont arrivés à l’avance plus de cent étrangers, européens et latino-américains. Nous commençons à 5 ou 6 heures du matin et nous terminons à minuit. C’est impressionnant de voir l’attente de ceux qui arrivent et l’accueil que leur offrent les « Cochabambinos ».

Sans aucun doute, c’est un peuple qui sait faire sentir à chacun, d’où qu’il vienne, qu’il est à la maison. Leur capacité d’improvisation est inégalable. Il vaut mieux ne pas trop programmer et voir au fur et à mesure ce qui se passe. Par exemple, hier, les horaires d’arrivée ont été très compliqués : il y avait des retards, des malentendus, mais ici tout se résout avec deux ou trois appels téléphoniques. Deux personnes d’Allemagne sont annoncées à l’aéroport. Tout de suite, quelqu’un dit : « Ne vous faites pas de souci, nous allons les chercher et nous les amenons chez nous pour se reposer. » La capacité de réaction des gens est surprenante.

Aujourd’hui, à trois, nous avons parlé à la même heure sur trois chaînes d’informations différentes, ainsi nous avons touché tous ceux qui à Cochabamba regardent la télévision avant le travail ou l’école. Le résultat a été que les deux téléphones de l’accueil n’ont pas cessé de sonner tout le matin avec des propositions d’aide pour l’accueil de mercredi et des offres de familles qui continuent à ouvrir leur porte. Il nous reste beaucoup de détails à régler et, bien sûr, nous avons des inquiétudes pour l’accueil de mercredi, mais en pensant à tout ce qui s’est déjà passé, nous n’avons pas de raison d’avoir peur. Comme les gens de Cochabamba, nous accueillerons les bras ouverts… et nous improviserons !

Mercredi 10 octobre

L’accueil a commencé très tôt. À 6h.30, il y avait déjà 300 personnes qui attendaient d’être accueillies, en majorité des groupes de Péruviens, Chiliens, Argentins, beaucoup d’entre eux étaient déjà arrivés la veille et nous les avions logés provisoirement dans un collège.

Pendant la matinée, l’accueil a été fluide et calme, mais, au fil des heures, il s’est transformé en torrent. Depuis midi, les « Cochabambinos » ont commencé d’arriver, ainsi que les jeunes des régions proches de Cochabamba, qui étaient partis de chez eux le matin même. C’est alors qu’a débuté la fête des couleurs, spécialement avec les jeunes des zones rurales, tous revêtus de leurs vêtements traditionnels. Ils ont attendu patiemment d’être accueillis. L’archevêque s’étonna, avec même un peu de crainte, lorsqu’il vit arriver le groupe d’une certaine zone rurale de Cochabamba. Voici un mois il avait dû se rendre dans ce lieu à la suite d’un appel téléphonique urgent du curé. Les habitants avaient attrapé un voleur. Comme celui-ci avait déjà commis un autre délit et que la justice ordinaire n’avait rien fait, les gens voulaient le lyncher. Le curé avait réussi à retenir l’exécution de ce châtiment, mais seulement pour quelques heures. La présence de l’archevêque avait calmé les meneurs et évité la peine. Aujourd’hui, la grande surprise était de voir presque tous les jeunes de ce lieu emplis d’une grande joie et disposés à participer à nos journées de réconciliation.

La marque du jour fut sans doute la pluie, inhabituelle à Cochabamba, surtout sous forme d’orage et de vent. Mais cela ne nous a pas empêchés de continuer à accueillir un nombre de jeunes toujours croissant. À 5 heures de l’après-midi, la queue de l’accueil et celle de la collation s’entremêlèrent, naturellement celle de la collation l’emporta.

Le plus "latino" de la journée s’est passé à l’heure de la prière : cinq minutes avant qu’elle commence, une panne générale d’électricité a semblé empêcher qu’elle se déroule. Après quelques minutes de tentative de réparation, on invita les jeunes à entrer dans la halle de prière uniquement avec un mégaphone pendant que le chœur chantait à voix forte. Les milliers de jeunes qui étaient déjà arrivés entrèrent dans un profond climat de prière. Malgré toute cette émotion et les improvisations, nous avons pu sentir et nous laisser emplir par une si grande soif de prière et de rencontre. Oui, il est possible de faire beaucoup avec presque rien. L’improvisation, nous l’avons aussi pratiquée à l’accueil où 5 voitures se sont chargées d’illuminer de leurs phares les cinq lieux nécessaires pour continuer à accueillir.

La note finale a été donnée par les derniers arrivés : un énorme groupe de 150 Chiliens de Iquique, un petit groupe de 20 Argentins venus d’un secteur populaire oublié, et 35 Brésiliens de Chapeco qui avaient voyagé en bus durant presque trois jours, traversant une bonne partie du Brésil, de l’Argentine, tout le Paraguay y la moitié de la Bolivie. Sur leurs visages, on voyait la fatigue, mais surtout la joie, et plus encore : la fête. Quand leur accueil fut terminé et qu’une personne du groupe réglait encore quelques détails, on a tout à coup entendu les instruments de musique commencer à jouer, et le lieu d’accueil se transforma en un lieu d’une fête contagieuse qui nous rappela que le plus important de ces jours était d’être ensemble. Sans doute rien n’aurait pu les empêcher de continuer à exprimer leur joie, sauf l’annonce d’un volontaire de l’équipe de transport qui les avisait que les bus partaient et que leurs nouvelles familles les attendaient !

Peut-être que cela est un avant-goût de ce qui nous attend ces prochains jours.

Jeudi 11 octobre

Les paroisses se sont transformées : les bancs ont disparu, moins de lumière que d’habitude, quelques images sur l’autel, et beaucoup de jeunes se préparent très tôt à prier. Les prières sont simples, humbles, mais ce sont les jeunes eux-mêmes qui les ont préparées, qui les animent et les partagent.

Après une présentation de la paroisse et des participants, tous partent au « Campo Ferial » pour la prière. Le fantôme de l’électricité nous poursuit, mais tout est quand même donné pour que la prière se déroule bien. Il n’y a pas assez de place dans la halle de prière, les jeunes restés dehors suivent les chants et écoutent l’Évangile avec attention. Le silence est intense, on n’aurait jamais pu imaginer qu’un peuple si joyeux et festif soit capable d’un tel recueillement. Sans nul doute, il y a en eux une profondeur intérieure.

Pendant la prière, frère Alois les a invités à « lutter avec un cœur réconcilié »

Le désir d’échange se reflète, après un abondant repas, dans les carrefours qui sont très fréquentés, personne ne manque au rendez-vous. On peut respirer un élan pour partager et approfondir la foi. Quand les cloches appellent à la prière du soir, les chants d’abord timides se transforment en feu : "Nada te turbe, nada te espante … Sólo Dios basta" résonne comme jamais dans la halle. Il semble qu’on pourrait chanter toute la nuit…

Samedi 13 octobre

La diversité des participants à la rencontre impressionne tout le monde. Hier, lors d’une réunion de présentation, il y avait beaucoup de joie et d’applaudissements pour les 32 pays représentés et pour toutes les régions de la Bolivie.

Aujourd’hui la prière de midi a été très belle. Ce qui touche chacun, c’est le silence. En sortant de la prière et en allant vers les files du repas, on entend les jeunes fredonner certains des chants : « Dios es amor… » « Nada te turbe… ». Sans aucun doute, celui qu’ils reprennent le plus, c’est l’alléluia. Chaque fois que, dans la prière, est proclamé l’Évangile ou un autre passage biblique, le chant de l’alléluia résonne très fortement, il semble qu’on pourrait le chanter à l’infini.

C’est beau de voir combien la prière d’intercession est une partie fondamentale de la liturgie, ici en Amérique latine : prier pour les autres est au cœur de toute célébration. Le kyrie eleison est chanté avec la même force que l’alléluia et il n’y a pas de doute que Dieu écoute notre prière.

Cet après-midi, nous nous sommes réunis par pays et par régions. La rencontre des Boliviens a été animée ensemble par deux frères et par la pastorale nationale des jeunes, pour indiquer une continuité à ce qui a été commencé durant ces jours. Les Chiliens, qui étaient presque trois cents ont eu leur rencontre entre eux. À la fin, ils ont décidé de commencer sans tarder la réconciliation à partir d’un geste : ils sont tous sortis de leur lieu de réunion et sont allés interrompre la rencontre des Boliviens pour les embrasser et leur donner un baiser de paix. Une manière de les remercier, mais surtout de leur demander pardon pour tous les problèmes qui sont encore pendants entre les deux pays.

Les Brésiliens et les Européens ont eu leur rencontre chacun de leur côté. Et puis il y a eu la rencontre du reste de l’Amérique latine, où trois cents jeunes de tout le continent ont cherché comment continuer le pèlerinage de confiance.

Dimanche 14 octobre

Jour de départ. De nouveau, il y a des sacs partout ! Mais moins de confusion que le jour d’arrivée, car tous savent bien où aller et quoi faire.

L’eucharistie a commencé à 11 heures du matin. De nouveau, le surprenant recueillement d’un peuple « turbulent » a été au premier plan. Dans son homélie, l’évêque de Cochabamba, Mgr Tito Solari, a parlé des trois fruits ou des trois enseignements de la rencontre : d’abord Jésus est le guide, le compagnon de route, la prière et le silence étant le lieu de rencontre par excellence. Puis il a invité les jeunes à créer des « microclimats de réconciliation » là où ils vivent. Enfin, il a dit avec douceur et fermeté que les jeunes ne peuvent pas traverser la vie, traverser l’histoire sans laisser une trace, sans marquer le chemin.

A la fin de l’eucharistie, les Chiliens ont tenu à remettre à l’évêque une lettre. C’est une lettre ouverte des jeunes Chiliens aux jeunes Boliviens où ils demandent pardon. Ce fut le moment le plus émouvant de la rencontre. On ne peut pas dire que les applaudissements furent forts, tant les mains de tous étaient occupées à essuyer leurs larmes de joie.

Tout s’est terminé par la salutation de la paix qui avait été laissée pour la fin, après la bénédiction. C’est le signe qui nous avait poursuivis durant toute la rencontre : ouvrir des chemins de paix. C’est bien que la rencontre se soit terminée ainsi. Le dernier mot que beaucoup nous ont dit en partant était : « La paix soit avec toi. »

Il y a eu trois pistes de réflexion : comment la prière peut-elle être au cœur de mon engagement pastoral ? Donner une plus grande place à l’écoute, se mettre à la place des autres. Et pour finir aller vers les plus pauvres avec peu de moyens.

À la question « où Dieu m’attend-il de retour chez moi ? » tous les petits groupes ont répondu : « C’est sans doute dans le quotidien. » On peut voir que, en Amérique latine, la foi se vit dans le jour après jour, en tout cas, c’est ainsi qu’on entend la vivre.

Le soir, frère Alois a fait allusion à l’amitié que Dieu nous offre et il a donné une copie de l’icône de l’amitié à chaque pays d’Amérique Latine représenté, et à chaque département de Bolivie : « Cette icône vous aidera à accomplir de petits « pèlerinages de confiance » dans des lieux où des jeunes se retrouvent, d’une ville à une autre, d’une paroisse à une autre, dans un hôpital ou un centre d’accueil d’enfants abandonnés, et encore dans d’autres lieux où des personnes souffrent. Par ce simple moyen, vous pouvez transmettre la Bonne Nouvelle de l’Évangile et vivre la dimension missionnaire de notre foi. »

Dernière mise à jour : 17 octobre 2007